Une formation de deux jours a réuni acteurs étatiques, leaders traditionnels et religieux, professionnels de santé, journalistes et acteurs de la société civile pour renforcer l’application de l’article 14 du Protocole de Maputo.
Les 29 et 30 septembre 2025, Cotonou a accueilli un événement majeur qui a marqué une étape importante dans l’approche des droits sexuels et reproductifs au Bénin. Le Réseau des Femmes Leaders pour le Développement (RFLD), en partenariat avec Equality Now et la coalition SOAWR (Solidarity for African Women’s Rights), a organisé un forum de renforcement des capacités qui a rassemblé 20 acteurs et actrices clés du pays autour d’un objectif partagé : améliorer la mise en œuvre de l’article 14 du Protocole de Maputo.
Une initiative qui vient à point nommé !
Cette initiative s’est déroulée à un moment déterminant pour le Bénin. Bien que le pays ait ratifié le Protocole de Maputo sans réserve dès 2005 et adopté des lois progressistes comme la modification de 2021 autorisant l’interruption volontaire de grossesse dans des conditions élargies, un écart persiste entre les avancées juridiques et leur application effective sur le terrain.
Le Bénin s’est positionné comme un État précurseur en Afrique de l’Ouest en matière de droits sexuels et reproductifs. L’article 7 de sa Constitution garantit l’égalité d’accès aux soins de santé reproductive, et la loi n° 2021-12 du 20 décembre 2021, qui modifie la législation de 2003, représente une avancée significative en élargissant les motifs d’accès à l’avortement sécurisé.
« Cette formation a représenté une étape déterminante dans notre engagement pour que les droits consacrés par le Protocole de Maputo deviennent une réalité concrète pour toutes les femmes et filles béninoises », a expliqué Dossi AGUEH, Directrice Générale du RFLD. « Nous avons travaillé ensemble pour contribuer à la transformation de nos lois inclusives en changements tangibles dans la vie des femmes, particulièrement celles des zones rurales qui demeurent souvent exclues de ces avancées. »
Toutefois, malgré ce cadre juridique exemplaire, les défis demeurent. Dans les zones rurales, l’accès aux services de santé reproductive reste limité. Les ruptures de stock de contraceptifs, le manque de personnel qualifié et la stigmatisation sociale constituent autant d’obstacles à la pleine jouissance de ces droits. Les adolescentes et les femmes célibataires continuent de faire face à des jugements ou se voient refuser l’accès aux services, révélant le décalage entre la lettre de la loi et sa mise en pratique.
Le protocole de Maputo
L’article 14 du Protocole de Maputo, au centre de cette formation, est remarquable dans sa portée. Il garantit aux femmes le droit de contrôler leur fertilité, de décider de leur maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances, de choisir librement leurs méthodes de contraception, et d’accéder à l’éducation en matière de planification familiale. Il autorise également explicitement l’avortement médicalisé dans des cas spécifiques, faisant du Protocole de Maputo le premier instrument international juridiquement contraignant à reconnaître ce droit.
« L’article 14 du Protocole de Maputo constitue bien plus qu’une disposition légale, c’est un outil d’autonomisation des femmes », a souligné Esther WAWERU, Responsable Juridique d’Equality Now. » Notre mission consiste à accompagner les États africains pour surmonter les obstacles – qu’ils soient juridiques, culturels ou institutionnels – qui empêchent les femmes d’exercer pleinement ces droits fondamentaux. Le Bénin, avec son cadre inclusif, peut servir de modèle pour les autres pays africains »
Cette approche globale des droits reproductifs explique pourquoi neuf pays africains – le Burundi, le Tchad, l’Égypte, l’Érythrée, Madagascar, le Maroc, le Niger, la Somalie et le Soudan – n’ont toujours pas ratifié le Protocole. Les tensions entre les dispositions inclusives du texte et les normes traditionnelles ou religieuses de certaines sociétés créent des résistances qui nécessitent un dialogue respectueux et participatif.
Une formation engageante
Ce qui a rendu cette formation particulièrement significative, c’est son approche délibérément inclusive. En rassemblant responsables gouvernementaux, professionnelles et professionnels de santé, praticiennes et praticiens du droit, dirigeantes et dirigeants de la société civile et – élément notable – représentantes et représentants d’institutions religieuses et traditionnelles, l’événement a reconnu que les droits reproductifs ne peuvent progresser sans l’adhésion de l’ensemble des acteurs sociaux. Cette stratégie s’est avérée particulièrement pertinente dans le contexte béninois, où la diversité religieuse façonne profondément les attitudes envers la santé reproductive. Avec environ la moitié de la population se déclarant chrétienne, un quart musulmane, et une pratique significative du vaudou, particulièrement dans le nord du pays, les normes religieuses et culturelles exercent une influence considérable sur l’acceptation et l’accès aux services de santé reproductive.
L’inclusion des leaders religieux et traditionnels dans cette formation n’était pas symbolique. Ces acteurs et actrices jouent un rôle déterminant dans l’orientation des comportements communautaires et leur engagement peut considérablement accélérer l’acceptation sociale des droits reproductifs. Plutôt que de les considérer comme des obstacles, cette approche les a positionnés comme des partenaires dans la construction d’un consensus social autour de ces droits.
La participation de journalistes à cette formation a témoigné d’une compréhension fine du rôle des médias dans la transformation sociale. Les droits reproductifs restent souvent mal compris par le grand public, alimentant stigmatisation et désinformation. Former les journalistes à ces enjeux complexes a créé un effet multiplicateur, permettant une communication plus juste et mieux informée sur ces questions sensibles. L’objectif était ambitieux : que ces journalistes deviennent des relais pour amplifier les messages clés du forum et façonner un discours public plus éclairé sur les droits reproductifs. Cette stratégie de plaidoyer médiatique peut influencer significativement les décideuses et décideurs politiques et encourager une priorisation accrue de la mise en œuvre de l’article 14.
Malgré les avancées législatives, plusieurs défis structurels entravent encore la pleine application des droits reproductifs au Bénin. L’insuffisance des infrastructures sanitaires en zones rurales limite l’accès physique aux services. Le manque de formation du personnel médical sur ces questions spécifiques peut créer des discriminations de facto. Les barrières économiques excluent les plus vulnérables de l’accès à des soins de qualité. Plus subtils mais tout aussi réels, les obstacles culturels persistent. La stigmatisation des adolescentes cherchant des informations sur la contraception, les pressions familiales sur les choix reproductifs des femmes, ou encore la persistance de pratiques néfastes comme l’excision dans certaines régions, témoignent de la complexité du changement social. Cette formation a visé précisément à équiper les participantes et participants pour identifier et surmonter ces obstacles multiformes. En croisant les perspectives juridiques, médicales, sociales et religieuses, elle a permis de développer des stratégies holistiques et culturellement sensibles pour faire progresser ces droits.
Contexte de l’initiative
L’initiative béninoise s’inscrit dans un contexte continental plus large. Avec 46 des 55 États africains ayant ratifié le Protocole de Maputo, l’Afrique montre une adhésion majoritaire à ces principes. Cependant, l’hétérogénéité des situations nationales nécessite des approches adaptées à chaque contexte. Le Bénin, fort de son expérience de ratification précoce et de ses réformes législatives inclusives, peut servir d’exemple pour développer des méthodes de mise en œuvre efficaces. Les enseignements tirés de cette formation peuvent inspirer d’autres pays confrontés à des défis similaires, contribuant ainsi au progrès continental des droits des femmes. Les résultats de ce forum dépassent largement les deux journées de formation. L’objectif a été de créer une dynamique durable, avec des participantes et participants devenus ambassadrices et ambassadeurs de ces droits dans leurs sphères d’influence respectives. Les plans d’action qui ont émergé se veulent concrets, contextualisés et mesurables.
La formation a également visé à renforcer les réseaux entre acteurs et actrices, créant une coalition multisectorielle capable de maintenir l’engagement pour la réforme et de coordonner les efforts. Cette approche collaborative peut transformer durablement l’écosystème béninois des droits reproductifs.
Au-delà des considérations juridiques, la question des droits reproductifs constitue un enjeu de développement fondamental. L’accès à la planification familiale et aux soins de santé reproductive influence directement l’autonomisation économique des femmes, la réduction de la pauvreté, et le développement humain global. Pour le Bénin, qui affiche des ambitions de développement économique et social, garantir l’effectivité de ces droits représente un investissement stratégique dans son capital humain. Les femmes qui contrôlent leur santé reproductive participent plus activement à l’économie, investissent davantage dans l’éducation de leurs enfants, et contribuent plus efficacement au développement de leurs communautés. Cette formation de septembre 2025 a marqué un tournant dans l’approche béninoise du développement, plaçant les droits des femmes au cœur de la stratégie nationale. Elle témoigne d’une maturité politique remarquable, reconnaissant que le progrès social nécessite l’engagement de tous les acteurs et actrices, y compris ceux et celles traditionnellement perçus comme résistants au changement.
Les participants, plus que jamais, motivés
Les participantes et participants ont manifesté leur engagement à poursuivre ce travail collaboratif. Les réseaux établis durant ces deux journées continuent de fonctionner, créant une dynamique de suivi et d’évaluation des progrès. Les plans d’action développés sont en cours de mise en œuvre dans les différents secteurs représentés. L’initiative du RFLD et d’Equality Now au Bénin illustre parfaitement comment transformer les principes du Protocole de Maputo en réalités concrètes. En combinant expertise juridique, sensibilité culturelle et dialogue inclusif, elle a ouvert une voie prometteuse pour l’avancement des droits reproductifs en Afrique. Cette approche béninoise, fondée sur le dialogue respectueux et la collaboration multi-acteurs, démontre qu’il est possible de faire progresser les droits des femmes tout en respectant la diversité culturelle et religieuse. Le succès de cette méthode peut inspirer un mouvement continental, rapprochant l’Afrique de l’idéal d’égalité et de justice pour toutes ses filles et femmes.




